Bos-Darnis et le protectionnisme
Dans la France du second Empire, en plein essor industriel, Pierre Bos-Darnis s'intéresse de près aux différentes doctrines économiques qui émergent à cette époque (ce sont, par exemple, les débuts du marxisme).
Proche de ce qui va devenir le patronat, Bos-Darnis est un ardent défenseur du protectionnisme et de son égérie du moment : Auguste Mimerel (1786 - 1871).
Mimerel, fondateur d'une très grande filature de coton de Roubaix, est obsédé par la peur de l'ouverture des frontières et de la baisse des tarifs douaniers. L'ennemi, à ses yeux, est clairement identifié : les libres-échangistes dont les thèses se développent compte tenu de l'importance que prennent alors les marchés internationaux et qui ont la chance d'avoir l'oreille de l'Empereur Napoléon III.
C'est au cours des années 1854 et 1855 que Mimerel va se livrer à une passe d'arme avec son ennemi mortel, Michel Chevalier (1806 - 1879), libre-échangiste convaincu et conseiller économique très écouté de l'Empereur. Il est aussi fondateur du journal "le Globe", concurrent du "Moniteur industriel" de Bos-Darnis.
Chevalier a un passé de Saint-simonien qui lui a valu, sous Louis-Philippe, quelques mois de prison.
Auguste Mimerel |
Michel Chevalier |
Les controverses liées au Saint-simonisme sont maintenant bien oubliées, rappelons qu'il s'agit d'une doctrine utopique un peu fourre-tout née au début du XIXe siècle et dont le versant économique prône le libre-échange. La doctrine a aussi un aspect féministe qui inspirera la plus grande méfiance et lui vaudra des soupçons d'immoralité.
C'est par ce biais que Pierre Bos-Darnis, bras armé de Mimerel, va attaquer, dans son journal, Michel Chevalier. "Le Moniteur industriel", qui paraît le jeudi et le dimanche, est loin d'être une publication confidentielle, il est envoyé à tous les hommes éminents de l'administration, du Conseil d'état, du Corps législatif et du Sénat. Il a donc une certaine influence.
L'attaque se situe d'abord sur le plan des idées et notre rédacteur en chef défend, comme à son habitude, les positions extrêmes du protectionnisme : "Regardez tout ce que l'industrie française a pu faire grâce au régime protecteur !"
Mais bien vite, Bos-Darnis, qui n'est pas un théoricien ni un économiste, passe à d'autres types d'arguments. Dans une série d'articles, publiés en février et mars 1854, il entreprend de ruiner le prestige et l'autorité de Michel Chevalier. Il rappelle son passé saint-simonien, les théories très controversées sur la liberté des femmes et sa condamnation en correctionnelle pour outrages aux bonnes mœurs !
Les choses sont allés si loin qu'un huissier ne tarde pas à se présenter au journal, porteur d'un arrêté de Persigny, ministre de l'Intérieur. Celui-ci "considérant que cet article contient une polémique injurieuse et de mauvaise foi contre un fonctionnaire public" adresse un premier avertissement (prélude à la suspension) au "Moniteur industriel". Bos-Darnis est obligé de se rétracter et de présenter ses excuses dans le numéro suivant. On ne s'attaque pas impunément à un protégé de l'Empereur ...
Malgré ce revers, il continuera courageusement à défendre sa vision de l'économie : "Nous n'avons point les conditions qu'il faut pour aller porter tout notre effort sur les marchés étrangers ; nous n'y serions ni les premiers ni les égaux des premiers ... A chaque pays son génie taillé en quelque sorte dans sa situation morale et politique. Nous n'avons pas les avantages de l'Angleterre, nous n'en courons aussi ni les périls ni les crises profondes."
Sans doute n'a-t-il pas été très clairvoyant dans ses choix économiques puisqu'on dit aujourd'hui que l'influence funeste du protectionnisme a fait perdre à la France plusieurs décennies, un temps précieux dans la lutte économique qui l'opposait alors à la Grande Bretagne.