Autopsie à Carmontes en 1837

Un médecin miralier précurseur de la police scientifique ?

Nous soussigné, sur la réquisition de Mr le maire de la commune de St Illide, nous sommes transportés ce jourd'hui 14 février 1837 à onze heures du matin, au moulin de Carmontes, sis en la dite commune de St Illide, et à environ trois cents pas de là, sur la chaussée du dit moulin, à l'effet de visiter le corps d'Antoine Montagut, âgé d'environ 70 ans que l'on a trouvé noyé.
Au dit lieu, et en présence de Mr Rengade, maire et du Sr (blanc), meunier, nous avons procédé à l'examen de ce corps que le dit sieur (blanc) nous a dit avoir trouvé hier à quatre heures du soir, arrêté en travers sur le déversoir de la chaussée de son moulin.
1° Ce corps annonçait une forte constitution et est d'une haute stature.
2° Il n'exhalait aucune mauvaise odeur ; les membres étaient raides, la peau ne présentait pas de signes de putréfaction, et était en général de couleur naturelle.
3° Néanmoins, il existait sur le sommet de la tête, trois plaies de forme triangulaire à bords déchirés et amincis et pénétrant jusqu'à l'os ; deux avaient cinq lignes de diamètre et l'autre quatre lignes idem. L'on voyait une quatrième plaie divisant transversalement le sourcil droit avec épanchement de sang dans le tissu cellulaire sous cutané, ayant dix lignes d'étendue ; le nez était excessivement gonflé, et il existait aussi des contusions avec des écorchures sur les deux joues.
4° Les paupières étaient fermées et la bouche ouverte, laissant voir la langue comme retirée en arrière ; la cavité buccale et les narines contenant du limon mêlé à un peu de matière écumeuse.
5° Le dos de chaque main présentait de légères égratignures, les doigts étaient fortement rétractés, les ongles n'offraient pas de déchirures.
6° Deux fortes contusions existaient sur le haut de l'épaule gauche, correspondant à l'insertion de la clavicule.
7° La poitrine, le tronc et les extrémités inférieures n'offraient rien de particulier.
8° Nous avons scié avec précaution la voûte du crâne et nous avons observé que le cerveau et ses membranes n'offraient aucune altération aux points correspondant aux blessures du sommet de la tête ; seulement les vaisseaux sanguins étaient très engorgés.
9° Nous avons procédé à l'ouverture du thorax qui nous a paru très bombé ; la plèvre était adhérente aux poumons sur plusieurs points ; la trachée artère et les bronches contenaient une matière écumeuse ; le parenchyme des poumons était crépitant, et contenait du sang fluide ; une certaine quantité d'eau avait pénétré jusque dans les dernières ramifications bronchiques.
10° Le péricarde et le coeur étaient sains, et les cavités de ce dernier organe étaient gorgées d'un sang fluide très noir.
11° A l'ouverture de l'abdomen, nous avons trouvé l'estomac distendu par des substances alimentaires mêlées à un liquide aqueux.
12° Les autres viscères étaient dans leur état naturel. La vessie contenait environ trois onces d'urine.

De ces observations nous croyons pouvoir déduire les conclusions suivantes :
1° L'état des poumons, la présence d'une matière écumeuse dans les bronches, et surtout d'une certaine quantité de liquide dans les dernières ramifications des voies aériennes démontrent que le dit Montagut trouvé dans l'eau et soumis à notre examen a réellement péri par submersion et nous sommes confirmés dans cette opinion par l'élévation du thorax, l'engorgement des cavités droites du cœur et la fluidité du sang.
2° Quant aux blessures de la tête et de la face ainsi que de l'épaule bien que pouvant être l'effet de violences exercées avant la submersion, nous pensons qu'elles ont pu résulter de ce que cet individu avait heurté avec violence contre des corps résistants, soit en tombant dans la rivière, soit dans la rivière même lorsqu'il était encore plein de vie.

Joseph Darnis, docteur à Gounoulès