Le chêne de la place


16 mètres de haut, 3,50 mètres de circonférence, ses mensurations sont impressionnantes ! Mais d'où vient donc ce beau chêne pédonculé qui orne si majestueusement la place de Saint-Illide ?

Interrogés, les Miraliers ne sont pas d'accord. La plupart ignorent son origine, d'autres y voient un arbre de la Liberté, quelques uns parlent même d'un chêne de Sully.

Eliminons d'emblée cette dernière hypothèse car, malgré sa belle taille, notre chêne ne peut pas avoir 400 ans.

Alors, arbre de la Liberté datant de la Révolution ? L'idée est bien sûr séduisante mais mérite d'être examinée sérieusement.

Les premiers arbres de la Liberté furent plantés en 1790 mais c'est surtout à partir de 1792 que ce symbole révolutionnaire se popularisa. C'était d'ailleurs souvent un peuplier (à cause de l'assonance "peuple/peuplier") plutôt qu'un chêne. On trouve alors en France plusieurs milliers de ces arbres. Leur plantation donnait lieu à des fêtes et des réjouissances populaires. Considérés comme des monuments publics, ils étaient protégés par un décret de la Convention. Napoléon mit fin à cet usage républicain.

Très peu de ces arbres sont parvenus jusqu'à nous. Détruits par les royalistes ou tout simplement atteints par l'âge et les maladies, ils ont disparu dans leur immense majorité.

D'autres arbres de la Liberté ont été plantés après les révolutions de 1830 (les Trois Glorieuses) et 1848. N'oublions pas non plus les plantations destinées à maintenir le souvenir d'autres événements importants comme "les arbres Marie-Louise" en 1810 ou "les arbres du roi de Rome" l'année suivante qui célèbraient respectivement le second mariage de Napoléon 1er et la naissance de son fils.

Et Saint-Illide dans tout ça ? Eh bien, les premières mentions qu'on trouve de ce fameux chêne dans les comptes-rendus du Conseil municipal datent de ... 1881.


Rien pendant toute la Révolution (ce n'est pourtant pas faute d'avoir passé tous les registres au peigne fin), rien en 1830 ni en 1848. Alors, un oubli dans les comptes-rendus ? Des documents perdus ou détruits ? C'est sans doute possible mais trois éléments nous amènent à écarter la piste de l'arbre de la Liberté :

1) En presque un siècle (de 1790 à 1881) il est quasiment impossible qu'aucun document ne parle de cet arbre ou des cérémonies auxquelles il aurait du donner lieu.

2) Un autre compte-rendu daté de 1891 fait une brêve allusion au muret entourant le chêne et, comme en 1881, celui-ci est désigné comme "l'arbre de la place publique", expression assez neutre. S'il avait été un symbole révolutionnaire, un conseil municipal républicain (la République est de retour depuis 1870) ne l'aurait-il pas appelé "l'arbre de la Liberté" ?

3) Il est classique d'évaluer approximativement l'âge d'un tel arbre en divisant sa circonférence mesurée à 1,50 métre du sol par 2,5 ; cette circonférence étant de 350 centimétres, la division conduit à 140 ans !
Bien sûr, il s'agit d'une moyenne car la croissance dépend de plusieurs facteurs dont le climat et surtout la qualité du sol dans lequel il est planté.
Dans le cas de Saint-Illide, nous ne sommes sans doute pas dans des conditions optimales et il faudrait probablement ajouter 10 voire 20 ans. Notre arbre aurait donc entre 140 et 160 ans c'est à dire planté entre 1850 (160 ans ) et 1870 (140ans ).

Conclusion ? Eh bien, nous n'en avons pas de définitive et, en attendant que de nouveaux documents nous éclairent, nous vous proposons deux hypothèses :

1) Seulement un très bel arbre : En 1873, le Conseil municipal note : "Mr le Maire se propose de faire clôturer les jeunes arbres qui ont été plantés sur la place ..." Il y aurait donc eu plusieurs arbres sur la place. Notre chêne n'était-il pas tout simplement le plus beau d'entre eux ? Celui qu'on aurait préféré garder lorsqu'on a, plus tard, décidé de dégager cette place ? C'est ensuite à ses pieds que le Garde champêtre aurait pris l'habitude de faire ses proclamations, d'où la construction du muret.

2) Un arbre bonapartiste : Les Miraliers l'ont prouvé à maintes reprises : ils avaient une grande affection pour Napoléon III (voir le Prince Président, la Sibérie de la France, Napoléon IV, un Empereur adoré). La naissance et le baptème du prince impérial en mars 1856 ont mis tout le village en effervescence jusqu'à provoquer l'organisation impromptue d'une fête exceptionnelle. Il est possible que le chêne ait été planté à cette occasion. Le caractère quasi-improvisé de la fête expliquerait que le Conseil n'ait pas eu le temps de faire figurer cet événement dans ses comptes-rendus. Cela éclairerait aussi la dénomination "d'arbre de la place" en 1881 et 1891 : la République revenue, les raisons ayant motivé la plantation du chêne n'auraient plus été "politiquement correctes".

Quoi qu'il en soit, cet arbre magnifique, véritable Titan, est désormais trés lié à l'histoire de Saint-Illide. Il a, en particulier, été le témoin des événements communaux proclamés chaque dimanche aprés la messe par le garde champêtre ; enfin, et surtout, il a vu passer à ses pieds tant de Miraliers à l'occasion des événements qui ont jalonné leur vie : baptême, communion, mariage et enfin leur dernier passage avant d'aller reposer dans cette terre qui est la leur.

Mais un chêne peut vivre 1 000 ans et celui-ci est en pleine santé ... Gageons que nos arrière arrière petits-enfants pourront encore s'asseoir à l'ombre de ses branches.

Les fils du Titan