Les copies des enfants de Saint-Illide
Ces textes ont été écrits en novembre 1916 par des enfants de 9 à 13 ans. L'orthographe, la syntaxe et l'écriture sont presque parfaites mais, ne nous y trompons pas et ne tirons pas de conclusions hâtives sur la baisse du niveau des petits Français du XXIe siècle ... Gardons plutôt à l'esprit qu'en ces tout débuts de l'école laïque, ce type de rédactions constituait pour la République une vitrine qui se devait d'être irréprochable. Les tournures les plus recherchées et les plus grandioses sont donc très probablement à attribuer aux maîtres, ces fameux "hussards noirs" dont le zèle extrême est bien connu. Les naïvetés et les maladresses sont sans doute à verser au crédit des petits Miraliers qui, rappelons-le, n'avaient pour la plupart jamais quitté la commune et étaient davantage confronté au patois qu'au français.
Ecole de Labontat - Cours moyen - 24 novembre 1916
Chers petits amis d'Amérique,
J'ai appris, non sans une grande émotion, les dons gracieux que vous avez faits à mes frères de France, rendus orphelins par la terrible guerre qui nous désole. Ces pauvres infortunés sont, en effet, bien à plaindre. Bien des fois ils ont sans doute pleuré en l'absence de leur cher papa, mais leurs pleurs étaient adoucis par l'espoir de le revoir, la douce perspective qu'à son retour ils seraient heureux en se jetant dans ses bras. Hélas, il n'en sera pas ainsi. Pauvres malheureux, ils ne reverront plus celui qui les aimait tant, leur guide, leur soutien ! Que de larmes ils ont vu verser autour d'eux ! Quand je pense à tant de tristesse mes yeux se mouillent, je n'y vois guère sur mon cahier. Pour moi c'est tout naturel de partager leur peine, j'en connais particulièrement quelques uns, certains sont mes petits cousins. Mais pour vous c'est différent. Si vous vous êtes tournés vers eux, leur apportant secours et consolations ; si, dans ce but vous vous êtes prGivés de quelque partie de plaisir, imposé même quelque sacrifice, sans doute, c'est uniquement parce que vous avez bon coeur, que vous êtes généreux, que vous comprenez leur pénible situation et vous voulez adoucir leur maux ; vous le faites assurément. Ces enfants se sentent encouragés, un peu rassurés en pensant que des sympathies leur viennent de si loin. Leur pauvre mère elle-même éprouve un soulagement dans son terrible deuil : "Quoi ! il y a des enfants de l'autre côté du grand Océan qui pensent aux miens, qui les plaignent, qui viennent à mon aide pour les nourrir, les faire instruire !" Se trouvant ainsi l'objet d'un dévouement qu'elle n'attendait pas, d'attentions qui la surprennent, elle oublie presque par instant, son malheur. Un sentiment de reconnaissance tempère ses angoisses et le courage lui revient.
Voilà, je me dis l'heureux effet que produit la bonté de ces nobles enfants d'Amérique. Aussi je vous admire et je me sens le besoin de devenir meilleur afin d'avoir plus de ressemblance avec vous. Je voudrais pouvoir vous dire toute ma reconnaissance ; cela m'est impossible : je n'ai, à mon vif regret, ni les moyens, ni les talents nécessaires. Je puis du moins vous affirmer que je n'oublierai pas combien vous êtes bons, charitables, généreux. Désormais, en regardant la carte de votre beau pays, je me dirai : c'est là qu'habitent nos jeunes bienfaiteurs. Je penserai chaque fois à ce que vous avez fait pour nous, petits Français. En joignant mes remerciements à ceux qui ont reçu vos offres délicates, je me dis : "Puissiez-vous, en échange de votre bonté, jouir d'une santé robuste, d'une paix sans trouble ; que votre gaîté ne soit pas assombrie par les angoissantes images qui, en ces tristes temps, dans cette malheureuse Europe, nous viennent à l'esprit. Que le soleil fasse croître pour vous les fleurs fraiches et parfumées que nous ne pouvons vous envoyer de France ; qu'enfin de douces harmonies vous soient l'écho de notre profonde gratitude.
Par la pensée et le coeur, je vous envoie de reconnaissants et tendres baisers.
Lavigne Antonin. né le 21 mai 1905