Faire du bois
Au milieu du siècle
dernier, dans chacune des fermes de Saint Illide on consomme beaucoup de bois
:
longues bûches pour alimenter le feu dans le cantou , des plus courtes
pour la grande cuisinière en fonte, fagots de branches pour allumer le
feu, faire des flambées et utilisés en grandes quantités
pour chauffer le four où l'on cuit les grosses tourtes de pain de seigle,
piquets pour les clôtures des prés et des champs, bois pour chauffer
la grosse marmite en fonte où va cuire la pâtée pour engraisser
les porcs, planches pour les travaux de menuiserie…..
Heureusement, pour faire face à de tels besoins, il y a sur chaque ferme, petite ou grande, des parcelles boisées où poussent diverses espèces : chêne, l'arbre dont le bois répond le mieux aux différents usages énumérés ci-dessus, hêtre également apprécié, le bouleau dont le bois tendre brûle rapidement et donc ne"tient pas le feu", quant aux résineux, ils se consument également vite et ont la dangereuse caractéristique d'éclater en brûlant risquant ainsi de projeter des braises sur le plancher proche du cantou et d'y mettre le feu; citons, enfin, le châtaignier, arbre qui vit très vieux, précieux en raison des châtaignes qu'il fournit en fin d'automne.
C'est en général
en hiver, période où les travaux des champs prennent moins de
temps, que l'on part "faire du bois" avec un char tiré par
une paire de bœufs ou de vaches qui transporte les instruments nécessaires
à l'abattage et au tronçonnage des arbres.
Arrivé dans le bois, il faut choisir l'arbre à abattre et dégager
le terrain tout autour en coupant arbustes, ronces et plantes.
Avec
la"cognée", hache à long manche et à la lame
au large tranchant que l'on manie à deux mains, on commence à
faire sur un des côtés de l'arbre ( celui où l'on veut le
faire tomber ) et un peu au dessus du niveau du sol, une large entaille que
l'on élargit et que l'on approfondit.
Si le tronc n'est pas trop gros l'abattage ne se fait qu'à la cognée,
souvent à deux hommes frappant le tronc en alternance, sinon il faut
poursuivre le travail avec le "passe-partout" , longue lame de 1,5
ou 2 mètres, large d'une dizaine de centimètres, et munie à
chaque extrémité d'une poignée en bois (ci-dessous un modèle vendu dans une brocante à Saint-Illide). Il faut deux hommes
pour le manier et son utilisation nécessite de l'expérience tout
en étant pénible physiquement. Le principe de fonctionnement paraît
simple : chacun tire à soi à son tour et ne pousse jamais car
dans ce cas la lame se plie et se bloque en plantant ses dents dans le bois.
La
lame est, en effet, munie sur un de ses côtés de longues dents
qui scient le bois et qui alternent avec d'autres plus petites dont le rôle
est d'évacuer la sciure produite pendant la coupe. L'affûtage des
dents doit être pratiqué périodiquement et c'est un exercice
compliqué, pratiqué avec une lime dont il faut doser les coups,
toujours sous le même angle et en partant de la base de la dent vers son
sommet. (1)
Avant que soient donnés les ultimes coups de hache, l'arbre commence
à vaciller, le bûcheron pousse un grand cri pour avertir du danger
et l'arbre s'abat dans un grand fracas de branches brisées.
Sur l'arbre tombé au sol, on coupe alors à la hache ( ou à
la "serpe" pour les plus petites ) les branches qui partent du tronc;
toutes ces branches sont ensuite sectionnées pour en faire des fagots
liés par une grosse ficelle.
Le tronc, débarrassé de ses branches, est alors débité
au passe-partout en billes de différentes longueurs suivant la grosseur
du tronc et les usages que l'on veut en faire ( planches, piquets ou bois de
feu ).
Les billes sont mises sur le char et les fagots complètent le chargement
qui est amené dans la cour de la ferme.
C'est pendant tout l'hiver que la provision annuelle de bûches pour le
feu sera faite à partir de billes tronçonnées à
la longueur qui correspond à celle des bûches dont la ferme aura
besoin.
Pour
débiter la bille, on y enfonce des "coins", pièces de
métal en forme de biseau sur laquelle on tape avec une "masse"
pour la faire entrer dans le bois et le fendre; le "merlin", sorte
de coin en fonte muni d'un manche est également utilisé.
Les bûches sont alors empilées en tas réguliers à
l'abri sous un hangar ou un auvent pour y sécher jusqu'à leur
utilisation.
Pour clore ces quelques lignes comment
ne pas évoquer tout ce que représente ces forêts de chez
nous composées principalement des différentes espèces citées
plus haut et dont la flore du sous bois est d'une grande richesse : arbrisseaux,
buissons, fougères et tapis végétal composé de multiples
plantes ( le sous bois de ceux composés uniquement de résineux
est moins riche, la décomposition des aiguilles tombées au sol
donnant un terreau acide moins fertile ).
Outre le bois qu'elles nous fournissent c'est, en automne, le miracle des champignons
dont la recherche et la cueillette procurent un tel plaisir, c'est en été
y ramasser framboises, fraises des bois et airelles en altitude.
Enfin, et peut être surtout, combien il est agréable et reposant
d'y faire en toutes saisons de longues promenades dans un silence qui n'est
troublé que par le bruit du vent et le chant des oiseaux.
(1) : le passe-partout a pratiquement disparu à partir des années
cinquante avec l'apparition de la tronçonneuse.