La faux

Ce bel outil a été utilisé dans nos campagnes jusque dans les années 50 mais garde encore dans l’inconscient collectif une place symbolique importante. N’est-ce pas un des attributs de Chronos, le dieu mythologique du Temps et surtout de la Mort, cette grande Faucheuse ?

Dans ces deux cas, la multitude humaine, figurée par une prairie, attend, telle l’herbe avant la fenaison, le passage inéluctable de la lame qui va la trancher. L’image était parlante et, par delà même la religion, frappa l’imagination de nos ancêtres. Elle est restée vivace dans nos esprits jusqu’à en devenir universelle.
La faux est aussi, ne l’oublions pas, l’arme du paysan, celle qu’il brandissait, avec la fourche, lors des jacqueries et des Révolutions.

Très ancienne, la faux fit probablement son apparition dans le monde romain, vers 500 av. JC, elle était alors exclusivement utilisée pour couper l’herbe et ne servira à la récolte des céréales que vers le XVIe siècle.

Avant cette période, c’est le règne sans partage de la faucille, outil beaucoup plus ancien dont on trouve des traces dès le néolithique. On dit que la faux est cinq fois plus rapide que sa petite sœur et qu’elle évite à son utilisateur une position courbée extrêmement fatigante. Son prix d’achat élevé explique sans doute son implantation tardive surtout dans les petites exploitations qui constituaient la majorité des fermes d’autrefois.

Traditionnellement, la faux est constituée d’un long manche en bois (entre 1,40 m et 2 m) muni de deux poignées (une à l’extrémité et l’autre à mi-hauteur) et d’une lame recourbée et affûtée mesurant entre 60 et 90 cm.
Voyons maintenant comment on utilisait cet instrument :
La lame devait d’abord être régulièrement battue sur une enclume et à l’aide d’un marteau spécifique. Ce travail délicat était l’apanage de certains faucheurs « experts » et était destiné à affiner le tranchant.
Toutes les 15 à 30 minutes (suivant l’état du terrain et la résistance du végétal coupé), le faucheur devait s’arrêter pour affûter sa lame avec une pierre à aiguiser humide. Le choix d’une bonne pierre était important, les meilleures venaient de Lombardie. Après utilisation, la pierre était rangée dans un étui en bois ou en corne appelé « coffin » et qu’on accrochait à la ceinture. De nombreux coffins traînent encore ici et là dans les remises ou les granges, ils commencent à devenir des objets de décoration.

Vient alors le fauchage proprement dit :
L’homme, bien droit, fait face au pré qu’il va faucher et doit, avec souplesse et sans forcer, effectuer un mouvement latéral du corps puis revenir à son point de départ. Un bon faucheur coupait environ deux fois et demi la longueur de sa lame, une faux de 75 cm coupait donc 175 cm de largeur d’herbe. Le faucheur traçait ainsi un large chemin au milieu du pré en laissant sur sa gauche l’herbe coupée en un tas rectiligne : l’andain.
Un exemple en images :

 


Lorsque les faucheurs travaillaient dispersés dans une prairie, le bruit des lames tranchant l’herbe en cadence ressemblait au murmure des vagues sur une plage. Sur un terrain plat et sans pierre, un homme fauchait environ 500 m2 par heure. Mais le sol comportait souvent de multiples obstacles : cailloux, taupinières, ronces … C’est là que nos ancêtres devaient montrer leur savoir faire et élever le fauchage au rang d’un art ! Les faucheurs se livraient parfois à de véritables concours de vitesse et de dextérité (concours qui devaient bien arranger les propriétaires du terrain).

Faucheurs des environs de Salers vers 1900. L'homme au premier plan est en train de battre sa faux sur une petite enclume portative, deux autres hommes ont arrêté de faucher et aiguisent leur lame.

A Saint-Illide, hormis quelques petites parcelles de blé noir et de seigle, c’est essentiellement l’herbe qui était fauchée.
A partir de la mi-juin et pendant deux mois, tous les efforts des paysans de la commune étaient consacrés à la fenaison.
Il fallait d'abord choisir une journée de beau temps, sans orage en perspective. Les hommes se levaient avant l'aube et étaient sur place vers 5h. Ils se mettaient alors au travail. Imaginez ... le lever du soleil sur Saint-Illide, la cohorte des faucheurs éparpillés dans le pré, le ahanement des hommes, le bruit des faux qui tranchaient l'herbe en cadence, les lames qui tintaient joyeusement sous la caresse de la pierre à aiguiser ... Le spectacle devait être grandiose !
Vers 6h, une femme amenait un petit déjeuner très attendu car tout le monde ruisselait déjà de sueur, mais le travail reprenait bien vite. A midi, quand le déjeuner arrivait, le rythme de la faux était beaucoup plus lent que le matin. Une bonne soupe au fromage, du pain et surtout du vin rouge redonnaient à tous du coeur au ventre. Le labeur continuait ainsi jusqu'à la nuit, avec un autre intermède pour le goûter. Je vous passe le travail des rateaux et des fourches, les chars, chargés de foin jusqu'à verser, sur le chemin de la grange ... C'était un temps heureux mais c'était aussi le temps des journées de 16 heures !!

La mécanisation a, dès les années 50, relégué la faux à des travaux très spécifiques (terrains très accidentés, passes étroites, talus …) le récent développement des débroussailleuses a encore accentué son déclin. Curieusement, c’est son caractère écologique qui lui fait actuellement connaître un timide regain d’intérêt. Mais les nouveaux faucheurs retrouveront-ils la beauté et l’élégance du geste de nos aïeux ?