La gentiane
Pendant les années
cinquante, il y avait de nombreuses fermes sur la commune de Saint-Illide ;
certaines avaient un cheptel de race Salers suffisant (quarante à cinquante
vaches à traire) pour fabriquer sur place le fromage de Cantal.
Pendant l'été, il fallait nourrir le troupeau mais aussi réserver
une partie des prés pour y récolter le foin et le regain nécessaires
pour nourrir les bêtes pendant la mauvaise saison.
Les prés de l'exploitation situés dans la commune ne suffisaient
pas pour permettre de faire face aux besoins d'un troupeau important; il fallait
donc emmener les bêtes en"estive"et leur faire passer l'été
sur des pâturages de montagne, le plus souvent loués, situés
en altitude dans le Cantal ou le Puy de Dôme.
Ces vastes étendues sans arbre ont une flore spéciale qui donne
au fromage d'estive un goût particulier très prisé des amateurs.
La
plante caractéristique qui y pousse est la gentiane jaune.
C'est une plante haute et robuste dont les larges feuilles ont des nervures
longitudinales ; celles du sommet soutiennent, dés le mois de juin, de
nombreuses fleurs jaunes qui donneront ensuite des capsules contenant un grand
nombre de petites graines ailées.
Ses racines s'enfoncent profondément dans le sol , jusqu'à plus
d'un mètre pour les sujets âgés.
La gentiane est une plante vivace (elle atteint cinquante ans et plus) et ne
fleurit pour la première fois qu'au bout de plusieurs années,
rarement avant dix ans.
La racine de gentiane est connue depuis la plus haute antiquité pour
ses propriétés médicinales ; utilisée en extrait
sec, en tisane ou en macération dans de l'eau ou du vin, elle a une action
digestive très salutaire : facilite la digestion, combat constipation
et diarrhée, tonique elle combat l'anémie; elle serait également
fébrifuge.
La gentiane est à la base de certains apéritifs dont le goût
amer et frais est très apprécié : Salers, Avéze,
Couderc (fabriquée à Aurillac), Suze, pour ne citer qu'eux.
Les besoins de l'artisanat et de l'industrie sont donc importants: 1000 à
1500 tonnes de racines à prélever par an , pour l'essentiel dans
le Massif Central.
Déterrer ces racines profondes est un dur labeur, pratiqué par
les "gencianaïres", en général en automne ; ils
prélèvent les racines des sujets âgés et arrivent
à en extraire 100 à 200 kg par jour ce qui représente plusieurs
centaines de pieds.
Autrefois ils utilisaient une sorte de pioche qui servait aussi de levier; cet
outil est aujourd'hui remplacé par une fourche métallique, la"fourche
du diable", munie d'une sorte de marchepied, elle permet au "gencianaïre"
d'enfoncer la fourche de l'outil dans le sol en sautant dessus de tout son poids;
il pèse ensuite de toutes ses forces sur le long manche pour, enfin,
extraire la racine.
Le
succès grandissant des produits à base de gentiane a, aussi, des
aspects négatifs car pour fournir les quantités citées
plus haut, on arrache souvent de jeunes plantes et, en conséquence, on
assiste à une régression regrettable de l'espèce; à
terme, si une législation intelligente ne protége pas cette plante
bénéfique, on risque fort de constater sa quasi disparition de
territoires entiers de nos montagnes françaises.