Hôpital ou lèproserie à Saint-Illide ?
Quelques années
encore et le souvenir même de l’ «hôpital » de
St Illide disparaissait.
Seuls quelques contemporains âgés ou très âgés
se souviennent de son existence et de son emplacement grâce aux témoignages
qu’ils ont recueillis dans leur enfance, au début du XXème
siècle. Mais, pour l’essentiel, l’ « hôpital
» pose encore beaucoup de questions non résolues, tout comme le
Prieuré de St Illide dont l’existence est attestée par plusieurs
textes [le plus ancien remontant au XIIIème siècle] mais dont
on ne connaît plus aujourd’hui ni l’emplacement précis
ni l’importance, malgré une présence sur le sol de la commune
d’au moins 6 siècles…
Revenons
à l’hôpital. Un point quasiment sûr est son implantation,
entre l’ancienne cure et la maison faisant l’angle de la place autrefois
appelée « place de la bascule ». Cette petite maison, de
forme carrée, au toit pointu, presque encastrée dans la maison
d’angle jadis nommée « maison de Mme Sarret », à
l’entrée de laquelle on accède par un petit escalier de
trois marches, est l’ancien hôpital ou plutôt est construite
à la place et sans doute sur les mêmes dimensions que l’hôpital.
En témoignent plusieurs personnes de St Illide dont de très vieilles
dames qui se souviennent que Mme Sarret, née aux alentours de 1850, leur
montrait, petites filles, le rez-de-chaussée vide de cette maison en
leur indiquant « Là, il y avait autrefois des lépreux »,
ce qui évidemment les impressionnait beaucoup.
Parmi d’autres témoignages, mentionnons celui de Raymond Dupont,
l’ancien boucher, qui habite en face de l’hôpital, et qui
a toujours entendu parler de la léproserie installée dans cette
petite maison, actuellement propriété de sa sœur et qui serait
dans sa famille maternelle depuis au moins 4 à 5 générations.
On notera que, malgré son appellation d’hôpital dans la mémoire
collective, cet établissement était destiné à recevoir
des lépreux, ce qui, on va le voir, pose quelques problèmes…
Connue depuis l’antiquité, la lèpre est encore très
présente de nos jours en Afrique et en Asie. Elle se caractérise
par des lésions cutanées, une insensibilité à la
douleur et des troubles neurologiques. La maladie est actuellement guérissable,
sinon, en l’absence de soins, son évolution est lente avec, à
terme, des dommages irréversibles de la peau et des membres, la mort
survenant habituellement au bout d’une dizaine d’années.
Cette maladie, endémique en France pendant tout le Moyen Age, était
considérée (à tort) comme très contagieuse, d’où
l’exigence d’isoler les malades avec d’autant plus de rigueur
que beaucoup d’entre eux présentaient un aspect physique impressionnant,
voire repoussant.
Bien qu’il ne soit décrit dans les Evangiles que comme un miséreux
couvert d’ulcères, c’est Lazare qui représentait la
figure symbolique du malade de la lèpre. Son nom, déformé
en « ladre » ( d’où les ladreries ou maladreries pour
désigner les léproseries), devint bientôt synonyme de lépreux.
La grande vague d’apparition des léproseries se situe entre 1150
et 1250. On en compta alors jusqu’à 4000 en France, en comprenant
dans ce chiffre les hôpitaux dont l’histoire est beaucoup plus ancienne.
Sept communes du Cantal portent témoignage de la densité de ces
établissements de charité, un village ou hameau y portant le nom
d’hôpital. Il s’agit des communes d’Allanche, Condat,
Giou de Mamou, St Cirgues de Malbert, St Paul des Landes, Le Vigean et Ydes,
sans évoquer les cités plus importantes qui recevaient le plus
souvent plusieurs hôpitaux et les paroisses, comme St Illide, où
l’hôpital était implanté dans le bourg même.
Les hôpitaux se sont
multipliés en France, dès le VIIIème et IXème siècles
mais surtout, à l’époque des croisades, en même temps
que la fondation des léproseries. La vocation des hôpitaux est
beaucoup plus large car ils devaient recevoir dans ces époques difficiles
de bouleversements, de famines fréquentes et de misère, tous les
pauvres, vieillards, malades, orphelins, infirmes, pèlerins, étrangers
de passage, etc.
Comme les léproseries, les hôpitaux étaient souvent de création
ecclésiastique, gérés sous l’autorité des
évêques ou, plus fréquemment pour les hôpitaux, dépendants
de monastères dont la règle imposait qu’ils donnent l’hospitalité
aux pauvres et aux passants. Il était fréquent également
que les hôpitaux et léproseries soient fondés et dirigés
par l’autorité laïque ou encore par des seigneurs, de nombreuses
châtellenies étant tenues d’avoir leurs léproseries.
Cette grande diversité d’initiatives charitables et de statuts
des établissements s’explique par l’enthousiasme chevaleresque
et religieux, débordant de toutes parts que suscitent au XIIéme
siècle les préparatifs pour la guerre sainte alors que l’Occident
se lève en masse et multiplie les marques de générosité
et de dévouement pour attirer sur ses entreprises les bénédictions
divines.Cependant,
la perception de la lèpre et les lépreux dans la société
médiévale était assez ambivalente. Les images contradictoires
du châtiment divin et du rappel des souffrances du Christ expliquent sans
doute l’attitude très contrastée de la population. Au printemps
1321, naquit dans le sud de la France une psychose accusant les lépreux
d’avoir voulu, avec la complicité des juifs, empoisonner les sources
et contaminer tous les Chrétiens. La rumeur enfla et gagna en quelques
semaines le pays tout entier, bientôt le roi lui-même encouragea
la persécution. La violence se déchaîna : tout malade de
plus de 14 ans étant passible du bûcher, des milliers de ladres
furent massacrés. Au mois d’août, la férocité
se calma brusquement et les vieux réflexes de charité se remirent
à jouer. Les conditions de vie dans les hôpitaux et léproseries
étaient d’abord déterminées par leurs ressources,
parfois insuffisantes quand la communauté paroissiale ou l’instance
fondatrice négligeaient leurs devoirs.
La vie quotidienne était
inévitablement plus dure dans les léproseries où l’isolement
était, en principe, strict et définitif. Les léproseries
étaient, pour cette raison, isolées des autres habitats et disposaient
souvent autour du bâtiment lui-même d’espaces agricoles où
les malades encore valides pouvaient travailler.
La médecine était à l’époque peu fiable et
c’est à un jury de lépreux qu’était le plus
souvent soumis le malade « suspect ». Si le diagnostic était
positif, le malheureux était arraché à sa famille, son
village, en attendant une mort qui pouvait ne survenir que bien plus tard. Le
ladre se voyait alors réduit à mener une vie misérable
de mendicité ou à être recueilli dans une léproserie.
Dans les deux cas, le malade ne devait plus avoir de contacts avec les individus
sains ; il était tenu de porter des vêtements unis, enveloppants
et un insigne distinctif (généralement un morceau d’étoffe
de couleur vive) et ne pouvait se déplacer sans actionner en permanence
une sorte de castagnette primitive, la « cliquette » (et non la
crécelle, comme on le croit souvent) qui le signalait à tous.
Mais, la condition des
lépreux et des pauvres des hôpitaux était souvent moins
misérable qu’on ne l’imagine à l’époque
moderne. La plupart de ces maisons étaient bien dotées avec des
domaines et des rentes en nature et en argent . On doit se souvenir que depuis
le XIIéme siècle au moins, toutes les donations et tous les testaments
réservaient une part importante aux établissements charitables,
pour le salut de l’âme du donateur..
Il fallut même redoubler de surveillance aux XIVème et XVème
siècles pour éviter que des gens de condition aisée, cherchant
la tranquillité mais nullement malades, ne se fassent admettre par fraude
ou à prix d’argent.
A partir de 1550 environ,
en France comme dans toute l’Europe, les cas de lèpre se font plus
rares et les lèproseries seront peu à peu fermées ou plutôt
regroupées, selon les besoins. Une déclaration royale d’octobre
1612 ordonne le maintien « d’une ou deux maladreries en chacun bailliage
ou diocéze selon la nécessité publicque.. »
Les locaux des léproseries rendus disponibles et leurs ressources, qui
iront en déclinant, comme le grand élan charitable issu des croisades,
seront fréquemment affectés à la vocation plus généraliste
des hôpitaux et persisteront ainsi sous cette forme, du XVIème
siècle jusqu’à la Révolution, voire au- delà,
sous une administration de plus en plus laïcisée et contrôlée
par le pouvoir royal.
Et Saint-Illide ?
Nous sommes dans le domaine des probabilités et des suppositions, dans
l’attente d’autres témoignages et d’autres sources.
On peut donc supposer qu’une petite léproserie a été
créée à St Illide, à l’emplacement que nous
connaissons, sans aucune maison aux alentours, seulement des terrains agricoles.
Quand ? sans doute au XII ou XIIIéme siècle, peut-être en
lien avec la création du prieuré bénédictin
par l’abbaye St Géraud d’Aurillac.
Il est probable que, faute de « clientèle », cette léproserie
ait cessé de fonctionner au début du XVIIéme siècle
au plus tard et qu’elle ait été convertie, comme dans beaucoup
d’autres lieux en France, en hôpital recueillant les pauvres et
les passants, entretenu par les bénédictins, conformément
à leur règle qui fait une place importante à l’hospitalité.
Jusqu’à quand ? Impossible de le savoir actuellement. Peut-être
jusqu’à la Révolution où le Prieuré aurait
disparu. Sans doute pas beaucoup plus tôt, sinon le souvenir et la tradition
orale s’en seraient perdus..
Beaucoup d’hypothèses encore dans tout çà, tout en demeurant dans le domaine de l’histoire et non de la légende.
On notera que la vocation
sociale et charitable de St Illide, curieusement, se prolonge aux siècles
suivants par la création, vers 1850, d’un hospice de 36 lits à
Albart dont le très beau bâtiment qui porte le nom de son fondateur,
Bos-Darnis, existe toujours, auprès de sa
chapelle d’inspiration gothique, comme un clin d’œil aux siècles
passés..
Cet hospice devait, recevoir pendant la guerre 1939-1945 des malades mentaux
de l’hôpital d’Aurillac puis être reconverti à
l’extrême fin du XXème siècle en un établissement
de 50 places pour handicapés, tandis qu’à proximité,
une maison de retraite, accueille toujours 15 personnes âgées,
prioritairement de la commune de St Illide.
Très prochainement, en 2012 c’est un EHPAD de 63 lits (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) qui verra le jour dans le centre du bourg, sans doute tout près de l’ancien prieuré et du vieil hôpital ... L’histoire se poursuit.