Les soldats de l'an II à Saint-Illide

La Convention, confrontée au manque d'effectifs de ses armées, décide de pratiquer au cours de l'année 1793 deux levées en masse (une en février et une en août) dans tous les départements français. Ces deux levées concernent les hommes de 18 à 40 ans et vont porter le nombre des soldats de la République à environ un million d'hommes. Ces hommes resteront célèbres sous le nom de "soldats de l'an II" et Victor Hugo en fera, soixante ans plus tard, le sujet d'une de ses poésies les plus lyriques : "Ô soldats de l'an deux ! ô guerres ! épopées ! Contre les rois tirant ensemble leurs épées ..."

Cet enrôlement massif, loin d'être le sursaut patriotique que nous décrivent les livres d'Histoire, est très mal vécu, particulièrement dans les campagnes. Des émeutes éclatent en Normandie et surtout en Vendée.

Début mars 1793, on informe le Conseil municipal de la commune de Saint-Illide qu'il est dans l’obligation de fournir 35 volontaires, les hommes aptes à porter les armes sont donc priés de se faire inscrire dans les trois jours. Personne ne se présente ...
Le 15 mars, le citoyen Caylus, du district d’Aurillac est obligé de désigner 35 hommes parmi ceux de 18 à 40 ans non mariés ou veufs.
Début mai, le citoyen Louis Martin « ayant appris par la rumeur publique qu’en son absence on lui avait fait l’honneur de le désigner soldat volontaire », remercie le conseil municipal mais explique que sa situation de chargé de famille ne lui permet pas d’accepter cet ’honneur. D’autres présentent des certificats d’officiers de santé attestant qu’ils sont inaptes, d’autres enfin se cachent.

C'est Antoine Lalande (maire quelques années plus tard), commandant de la Garde nationale de la commune, qui doit veiller à l'application des décisions de la Convention, la municipalité "luy a fait réquisition d'arrêter ou faire arrêter tous les garçons qui voudraient se soustraire à la loi du recrutement". Car les fugitifs sont nombreux, le maire doit même écrire à son collègue de Saint-Santin, lui promettant de lui livrer tout déserteur de sa commune caché en territoire miralier ... à condition que le service soit réciproque !

La population, plutôt favorable aux déserteurs, les cache. De son côté, la Garde Nationale ne montre pas un grand empressement à accomplir sa tâche.
Quelques jeunes, craignant de devoir partir à la place des réfractaires, les dénoncent ... surtout si ceux-ci ne sont pas de la commune. Ainsi, ayant pris un jeune homme originaire de Maurs, de jeunes Miraliers le conduisent à la mairie mais les membres de la Garde refusent de le prendre en charge. Comme il a faim et soif, on l'emmène chez Vabret, le cabaretier. Invité à une table par deux citoyens, il décampe pendant que le cabaretier est à la cave.
On signale aussi trois réfractaires à Montalat. Quand la Garde se présente, ils sont partis depuis deux ou trois jours.

Le 27 Brumaire an II (17 novembre 1793), alors que la seconde levée a déjà eu lieu depuis quatre mois, on signale au citoyen Lalande la présence à Camps du jeune Jean Lafon, manifestement en fuite et qui s'est caché dans la maison du métayer Antoine Salvage (ce ne sont pas ses premiers déboires avec la municipalité, voir un opposant tenace). Le commandant de la Garde nationale se rend aussitôt sur place et somme le jeune garçon de décliner son identité et de le suivre au corps de garde pour s'expliquer. Jean Lafon refuse tout net et ne semble pas vouloir se laisser intimider.
Prudent, le citoyen Lalande décide "de se rendre au village de Caussin, requérir les citoyens Antoine Combret et Gabriel Montagne pour leur demander main forte". Les trois hommes retournent ensemble à la maison du métayer Antoine Salvage et réitèrent leur demande au jeune Lafon.

Le ton monte malgré le métayer qui tente de jouer un rôle de conciliateur. Jean Lafon perd son sang froid et, avec toute la fougue de sa jeunesse, se rue vers la porte bousculant les trois hommes qui lui bloquent le passage. Antoine Lalande, excédé, saisit le garçon au collet, bien décidé à le trainer jusqu'à Saint-Illide s'il le faut.
S'ensuit une courte bagarre à laquelle met fin Antoine Salvage. Il est chez lui et, à ce titre, parvient à se faire entendre. Il demande au citoyen Lalande de rentrer à Saint-Illide et promet d'amener lui-même, dès le lendemain, le jeune Lafon au corps de garde.

Le commandant de la Garde nationale laisse le bon sens miralier prendre le pas sur son zèle révolutionnaire et accepte la proposition, mettant fin à une affaire qui, à Paris, se serait probablement terminée par une exécution.

Inutile de vous dire que Jean Lafon ne s'est jamais présenté au corps de garde.