Le patois (2)

 

Cette lettre d'un Inspecteur de l'instruction primaire d'Aurillac, datée de 1866 et adressé au Recteur de Clermont, donne une idée assez précise de la situation linguistique dans le Cantal à la fin du XIXe siècle.

Monsieur le Recteur,

Par la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser le 12 novembre dernier, vous m’avez fait connaître que les rapports adressés au ministère de l’instruction publique au sujet des obstacles que rencontre la diffusion de la langue française dans les départements où elle n’est pas encore en usage, ont permis à son Excellence M. le Ministre de constater qu’il reste encore beaucoup à faire sous ce rapport et qu’il importe d’étudier cette question avec le plus grand soin.
Vous m’avez fait connaître également, Monsieur, le Recteur, qu’avant de prescrire aucune mesure nouvelle, Son Excellence désire que je lui fasse connaître, par un rapport spécial et détaillé, l’état actuel des choses dans le département du Cantal.
Après avoir recueilli tous les renseignements propres à m’éclairer complètement sur les diverses questions posées par M. le Ministre et connaissant d’ailleurs très bien le département du Cantal où je réside depuis plus de douze ans, je vais répondre avec une très grande précision aux questions posées.

  1. L’enseignement est donné en langue française dans toutes les écoles publiques ou libres, pour les garçons comme pour les filles. On ne parle patois qu’exceptionnellement à quelques commençants pour leur expliquer ce qu’on leur a dit en Français, afin qu’ils le comprennent mieux.
  2. L’instituteur parle toujours français à ses élèves, mais il parle quelquefois l’idiome local aux habitants de la commune quand ceux-ci se servent habituellement de cet idiome. Il parle toujours français à M. le Curé et aux personnes qui parlent elles-mêmes habituellement français.
  3. Pour amener les enfants à parler et à comprendre la langue française, il leur parle toujours français à l’école, à l’église et hors de l’école, en ayant soin d’expliquer au moyen du patois les mots que ces enfants ne comprendraient pas et il exige qu’ils répondent en français.
  4. Le règlement des écoles porte à l’article 48 : « Le français sera seul en usage dans l’école. Autant que possible le maître veillera à ce que, même en dehors de la classe, les enfants ne parlent pas le patois dont l’usage nuit essentiellement à l’étude de la langue française. »
  5. L’instruction religieuse est donnée à l’école par l’instituteur ou par l’institutrice en langue française.
  6. Le catéchisme du diocèse est rédigé et appris en français.
  7. Les dispositions et les tendances du clergé sont toute favorables à la diffusion de la langue française. Tous les ecclésiastiques font leurs instructions et leurs sermons en français ; mais hors de l’église, ils font comme l’instituteur ; ils parlent français ou patois selon les habitudes des personnes auxquelles ils s’adressent.
  8. Les familles désirent que leurs enfants parlent français mais cependant à la campagne et même dans toutes les villes, le langage le plus ordinaire est le patois. Les gens de la haute société parlent français habituellement, mais se servent souvent du patois dans leurs rapports avec leurs domestiques, leurs fermiers et les ouvriers qui travaillent pour eux.
  9. Les désirs de la population des villes sont que les enfants parlent français ; ile en est de même dans toutes les communes rurales principalement dans celles dont une partie des habitants émigrent. Les émigrants, les ouvriers, les marchands ont besoin de comprendre et de parler la langue française, à cause de leurs rapports avec les personnes étrangères au pays.
  10.  Après mûre réflexion, je pense que les mesures prises jusqu’à présent sont suffisantes pour amener l’usage uniforme et exclusif de la langue française. Seulement il faut insister sur l’exécution ponctuelle de ces mesures. Tout au plus pourrait-on interdire d’une manière absolue aux instituteurs et aux institutrices l’usage du patois et leur recommander de ne pas permettre à leurs élèves l’usage d’une autre langue que le français. Je dois ajouter que le patois est pour ainsi dire la langue maternelle du département du Cantal. C’est un idiome formé du gaulois ou celtique et de la langue latine. Il ne manque ni de richesse ni d’énergie ; mais l’accent des habitants de la haute Auvergne est très lourd et l’usage du patois nuit d’une manière très sensible à la connaissance de la langue française et à sa bonne prononciation. Néanmoins, à cause des habitudes d’émigration dans les villages les plus éloignés des grands centres de population, presque tous les habitants comprennent le français et beaucoup d’entre eux le parlent sinon correctement d’une moins d’une manière intelligible.

 

Il ne paraît pas nécessaire de prendre des mesures spéciales pour hâter la diffusion et l’usage habituel de la langue française dans le département du Cantal. Les progrès qui ont eu lieu depuis trente ans sous ce rapport sont très sensibles. La fréquentation de l’école par tous les enfants amènera tout naturellement le résultat désiré.
Veuillez agréer…