Précisions de la presse de l'époque
Il faut se garder d'être trop affirmatif sur les événements du passé. Sinon la presse de l'époque, témoin de son temps, peut vous contredire.
Par exemple, la route entre le bourg et la gare de St Illide était loin d'être prête le jour de l'ouverture de la ligne, le 25 décembre 1891, comme on l'affirme dans "St Illide se prépare à l'arrivée du train (2)"
En réalité, il restait beaucoup à faire.
En 1893, donc 2 années plus tard, le correspondant local de l'hebdomadaire "La Croix du Cantal" écrit : "On demande une route. La route qui conduit de St Illide à la station est dans le plus pitoyable état. Les courriers venant tant de St Illide que de St Cernin sont obligés de s'arrêter au village de Laveissière. Plus loin les chevaux s'empêtreraient jusqu'au poitrail. On juge si les voyageurs sont satisfaits de poursuivre leur route à pied, surtout en temps de neige ou de pluie. Que fait l'administration des ponts et chaussées ? Ne trouve t-elle pas qu'il serait temps de faire casser et utiliser les tas de pierres qu'elle a échelonnés le long de cette dangereuse voie ?"
Et la protestation est reprise en 1894. "L'administration laisse toujours dans le plus pitoyable état le chemin de la gare. C'est plutôt un bourbier qu'une route. Le courrier qui dessert la poste doit faire le service à cheval et encore, éviter par des sentiers détournés les fondrières du chemin classé. On dit que les travaux ont été donnés à l'entreprise. En ce cas, l'entrepreneur a t-il mission d'attendre que l'arrivée des beaux jours et de l'été enlève à ces réparations une partie de leur intérêt ? RSVP."
On imagine la fatigue des voyageurs arrivant de Paris après 11h de train, se retrouvant dans une carriole à cheval embourbée et devant terminer leur route à pied, tant bien que mal, avec leurs bagages. S'ils se rendent au bourg, il s'en faut de plusieurs kms. Pire au delà !
On n'ose penser à ceux qui vont ou partent de St Cernin qui dépend de la gare de St Illide non seulement pour le trafic voyageurs mais aussi pour le transport du courrier et des marchandises.
St Cernin, on le comprend, n'a jamais accepté cette situation et choisira très vite de disposer de son propre courrier pour desserrer un peu cette dépendance.
Plus tard, St Cernin a longtemps espéré et soutenu le projet d'une nouvelle ligne de chemin de fer qui devait desservir St Cernin et au-delà, à partir d'Aurillac.
Malheureusement pour le chef-lieu de canton, cet espoir n'aboutira jamais, pas plus que les autres projets mis à l'étude jusque dans les années 30 pour densifier le réseau ferré du Cantal et ses liaisons avec les départements limitrophes. Tout ceci paraît bien surprenant aujourd'hui !
A quel moment les travaux de la route ont-ils été enfin réalisés ? la presse n'en dit plus rien, comme toujours lorsque les choses vont bien, sans doute..
C'est beaucoup plus tard, après plusieurs phases de travaux, que sera réalisée la route de Labontat à la gare. Depuis longtemps en effet les habitants de ce village et des alentours soutenaient qu'ils devaient faire un long détour pour rejoindre la gare.
Ils obtiendront satisfaction à la fin de 1933.
Autre signe d'angélisme lorsqu'on note un seul accident sans gravité (en 1906) sur toute la durée de fonctionnement de la ligne (cf "un siècle de fonctionnement de la gare (2) ".
La réalité est malheureusement toute autre, à lire la presse. Et encore cette lecture s'arrête t-elle à 1940, sans compter les périodes où il n'y a manifestement pas de correspondant de presse, donc pas d'informations sur St Illide. Donc la liste qui suit n'est sans doute pas complète !
En juillet 1893, un acte irresponsable : "Entre les stations de Nieudan St Victor et St Illide, un individu a jeté des pierres sur le train en marche. Une d'elles a brisé la glace d'un compartiment et atteint un voyageur. Une enquête est ouverte pour retrouver le ou les auteurs de cette sauvagerie."
C'est aussi l'accès non protégé à la voie ferrée qui pose problème.
En juin 1893: "Un accident vient d'arriver au pont du Rouffet. Une belle vache de 3 ans appartenant à Mme Mastras du Verdier s'est jetée sur la voie ferrée au moment où le train de 9h 30 passait; la vache qui était entrée sous le tunnel a été broyée par le train."
Et à nouveau en novembre 1893 : " Jeudi dernier à Parieu Haut, s'est produit sur la ligne de chemin de fer un accident qui pouvait avoir des conséquences graves. Une vache de Vals a été broyée par le train. Comment se fait-il que les bestiaux pénètrent si facilement sur la voie ainsi qu'il résulte de cet accident et de la constatation de bouses abondantes jusqu'au pont du Rouffet ? Les bergers devraient mieux faire leur besogne mais la Compagnie n'a t-elle aucune responsabilité et les voyageurs ne sont-ils pas exposés de ce chef à un déraillement ?"
Des mesures ont dû être prises car la presse ne signalera plus des divagations de bétail sur la voie.
Toujours en 1893 (le correspondant était vigilant cette année là), l'imprudence des riverains est en cause : "samedi dernier (17 décembre) une dame X, pour éviter le chemin du pont du Rouffet souvent inondé par la rivière ou peut-être pour s'épargner la fatigue de gravir une côte assez pénible, s'est engagée fort imprudemment sur la voie ferrée. A ce moment le train arrivait à toute vitesse. Notre imprudente dame l'a échappé belle. C'est presque par miracle qu'elle a eu le temps de se jeter de côté. Sans ce mouvement rapide, la locomotive la tamponnait et le train lui passait sur le corps."
Mais il y a beaucoup plus grave. Deux accidents mortels, même si le premier est sans doute un suicide.
En septembre 1908 : " Un homme est trouvé mort, la tête écrasée. Jeudi matin, après le passage du train de 6h20, un homme paraissant relativement jeune a été trouvé sur la voie, la tête complétement écrasée. Le malheureux était mort sur le coup. La tête était réduite en bouillie. La cervelle jaillissait et se mêlait au sang coagulé. Il a été impossible de le reconnaître tant il était défiguré. le malheureux devait avoir reçu d'autres blessures sur plusieurs parties du corps car son cou était presque noir. La victime n'est pas encore identifiée."
Et le même correspondant, qui n'a visiblement pas le souci de ménager la sensibilité des lecteurs, donne 8 jours plus tard, avec désinvolture, l'épilogue de cette affaire : " L'individu trouvé mort sur la voie serait un nommé Delcamp de Vic ; c'était un simple d'esprit en proie à la hantise du suicide. Les gens de Vic connaissaient bien ce maniaque."
Autre accident mortel en février 1915 : " Un malheureux réfugié nommé Desprez avait trouvé un emploi de terrassier à Saint Illide. Il avait la fâcheuse habitude d'aller à son travail en suivant la voie. Desprez venait de quitter la gare, à 400 mètres environ de celle-ci, quand il fut tamponné par un train militaire en pleine nuit. Ce n'est qu'au jour que l'homme de service employé à la voie, découvrit sur le rail son corps complétement mutilé, presque méconnaissable ; la mort avait été instantanée. Le malheureux réfugié était père de 10 enfants et laisse encore sa veuve dans une position intéressante. Ses obsèques on eu lieu à Saint Illide au milieu d'une énorme assistance."
Et enfin, en janvier 1917 : "jeudi entre 7h et 8h, un éboulement important a eu lieu sur la ligne de chemin de fer entre la station de St Illide et Nieudan St Victor. Par suite de la fonte des neiges et de la pluie persistante, des infiltrations se sont produites dans une masse schisteuse qui domine la voie en cet endroit et des blocs de schiste s'étant détachés, glissèrent en avalanche, recouvrant les rails. Un cantonnier-poseur qui se rendait à son travail, entendant derrière lui le fracas des pierres, courut appeler l'équipe. Le train de Paris à Aurillac était en gare de St Illide. Quelques braves poilus qui se trouvaient parmi les voyageurs descendirent et spontanément se joignirent au personnel de la Compagnie d'Orléans. Armés de pelles et de pioches, tous se mirent à l'oeuvre et après une demi-heure d'efforts, la voie était libre."
Sans ce "cantonnier-poseur" à ce moment précis, l'accident était quasiment certain !
Ces ouvriers de la voie ferrée sont décidemment très utiles.
Ainsi vous apprendrez qu'en 1925 "une équipe travaille actuellement à la réparation des lignes télégraphiques entre Nieudan St Victor et St Illide. Le 26 juin, cette équipe, au cours de son travail, a tué dans un espace de 800 mètres, 19 vipères dont 5 aspics et 1 couleuvre d' 1,20 mètre. Puis ils clôturèrent leur journée en tuant 5 vipères. "
Ce qui fait donc un total de 24 vipères et 1 couleuvre, sans les avoir cherchées.
Dit-on encore à St Illide que l'Institut Pasteur de Paris envoie ses équipes précisément là, pour capturer les vipères nécessaires à la fabrication du sérum anti-venin ?
C'est donc peut-être vrai, cette fois..