Les vieux de la vieille
À la fin des guerres
napoléoniennes plus d’un million d’hommes rentrent dans leurs
foyers.
Dans les villes et parmi la bourgeoisie, le 1er Empire est suivi d’une
période d’antimilitarisme et de pacifisme. Dans les campagnes,
au contraire, les vétérans, dont les fameux « vieux de la
vieille » (les vieux de la vieille Garde impériale), vont répandre
le culte de l’Empereur et de ses gloires militaires.
Trente ans plus tard, la
victoire éclatante de Louis-Napoléon Bonaparte aux élections
de 1848 (74 % des voix !) est largement due au profond attachement des populations
rurales à la famille de l’Empereur. Attachement entretenu par les
vétérans de la Grande Armée.
Pour Karl Marx, cette victoire est « le coup d'État des paysans
et une réaction de la campagne contre la ville.»
Devenu Napoléon
III, l’Empereur n’oubliera pas ce qu’il doit à ces
milliers de zélateurs bénévoles disséminés
dans toute la France.
En
1857, il décide d’ailleurs de leur rendre ouvertement hommage.
Peut-être par intérêt personnel : son pouvoir repose en partie
sur la légende napoléonienne ; mais aussi par réelle sollicitude
envers ces vieux guerriers.
Un décret promulgué le 12 août annonce donc l’octroi
d’une médaille commémorative à tous ceux qui ont
combattu pour la France de 1792 à 1815.
Cette médaille de bronze, à l’effigie de Napoléon 1er porte sur son revers les mots suivants : Campagnes de 1792 à 1815. A ses compagnons de gloire sa dernière pensée. Ste-Hélène 5 mai 1821.
On estime à environ
300 000 le nombre de vétérans qui obtinrent la médaille
de Ste Hélène.
On demanda un jour à un vieux grognard s'il n'aurait pas préféré
recevoir la Légion d'Honneur, il répondit : «La Légion
d'Honneur, tout le monde est susceptible de la recevoir, la médaille
de Ste-Hélène, seuls les anciens grognards peuvent se la voir
octroyer. »
Le ministre de l'intérieur a demandé à tous les départements de fournir au plus vite, et par communes, l'état nominatif des militaires concernés par le décret.
A Saint-Illide, au moins
quatre vétérans peuvent prétendre à la fameuse médaille.
Il s’agit de Géraud CLAVIERES (72 ans), Pierre MONTAGUT (70 ans), Jean CORS (67 ans) et Guinot LAPIE (64 ans), anciens soldats de la Grande Armée.
On ne sait pas grand-chose de ces quatre hommes si ce n’est que ces militaires « ont réellement servi du temps de l'Empire sous Napoléon 1er et [...] ont autrefois versé leur sang pour la gloire
et la défense du pays ».
Les médailles vont être dûment remises, comme l'atteste cette lettre du Maire de St Illide, M. Lascombes, au Préfet du Cantal :
Monsieur le Préfet,
Conformément à votre lettre du 31 mai 1858, j'ai distribué aux quatre braves de ma commune, les médailles de Ste Hélène et les brevets qui les accompagnaient.
Pour donner plus de solennité à cette intéressante fête, j'ai choisi un dimanche et le jour de la fête patronale de St Illide.
Oui, Monsieur le Préfet, il était beau et imposant de voir sortir de la Mairie, ces bons vieux, avec la décoration que notre bon et bien aimé Empereur a bien voulu accorder aux glorieux débris de l'armée de l'illustre Napoléon 1er.
Les félicitations dont ils étaient l'objet de toutes parts et les poignées de main qu'ils recevaient de tout le monde, avaient comme par enchantement remis ces vénérables vieillards, quoique décrépis par l'âge, dans leur plus beau jour de l'âge mûr.
Ce jour fera époque à St Illide et toute la commune en conservera un religieux souvenir
Veuillez, Monsieur le Préfet, agréer les profonds respects de votre très reconnaissant serviteur.
Le Maire de St Illide
Deux ans plus tard, en 1860, M. Lascombes sollicite de nouveau le Préfet. Les quatre médaillés se trouvent
alors « réduits à un état voisin de la plus profonde misère
» et « les infirmités inhérentes à leur grand
âge les mettent dans l’impossibilité de gagner leur vie ».
Le Maire et les membres du conseil municipal de St Illide sentant sans doute
que la conjoncture est favorable à une demande d’aide pour ces
quatre vieillards, expliquent
qu’ils « croient faire une chose juste et agréable au cœur
de Sa Majesté l’Empereur en venant solliciter pour ces hommes un
secours viager qui les mette à l’abri du besoin et qui sans aucun
doute sera de courte durée ».
La demande étant « raisonnable », gageons que nos quatre
vétérans ont obtenu satisfaction, renforçant encore l’affection
que portaient les Miraliers à Napoléon III.