FRANCOIS MITTERRAND

 

Que vient faire François Mitterrand dans nos pages ? Ce natif de Jarnac a toujours revendiqué ses origines charentaises et n'a donc, a priori, aucun rapport avec notre village du Cantal.
Le rapport existe pourtant et n'a rien d'anecdotique. Si vous aviez prononcé devant l'ancien président les noms de Saint-Illide ou d'Albart, il aurait probablement souri et aurait laissé planer un énigmatique silence.

Mais quittons un instant le Cantal pour les Landes et plus précisément pour Hossegor. C'est là, au cours de l'été 1957, que François Mitterrand, alors député de la Nièvre et bientôt jeune ministre de la justice du gouvernement Guy Mollet, se lie d'amitié avec l'ingénieur et industriel François René Pingeot. Ils occupent ensemble une maison de vacances. François René a une fille, Anne, qui a alors 14 ans.

François Mitterrand ne la remarquera que quatre ans plus tard lors d'une représentation théâtrale mais leur histoire d'amour ne débutera vraiment qu'en 1963. François Mitterrand a 47 ans, Anne Pingeot seulement 20.
Commence alors, en parallèle avec cet amour-passion, une correspondance qui durera jusqu'en septembre 1995, quelques mois avant la mort de l'ancien président (8 janvier 1996).


1 218 lettres, poétiques, romantiques, touchantes ... François Mitterrand était, à sa manière, un homme fidèle (ce qui lui vaudra parfois des déboires comme, par exemple, ses relations amicales avec René Bousquet) et, malgré ses nombreuses autres conquêtes et sa volonté affirmée de ne pas quitter sa femme légitime, il restera jusqu'au bout attaché à Anne Pingeot. La naissance de Mazarine, en 1974 viendra concrétiser cet amour clandestin.

Et Saint-Illide dans tout ça ? Eh bien il faut savoir que, dans les années 60 et 70, l'hospice d'Albart accueillait pendant l'été des centres de vacances et c'est là qu'en juillet 1964, une jeune monitrice du nom d'Anne Pingeot a passé un mois à encadrer les enfants de la colonie de vacances du Crédit Foncier. Son très récent amant qui l'inonde de lettres,  n'a qu'une envie, venir l'y rejoindre :

Quand te verrai-je ? Cette incertitude me pèse. Je suppose toujours que ton jour de congé se situera vendredi, samedi ou dimanche 24, 25, 26 juillet puisque tu entres en "colonie" lundi. Quel que soit ce jour je serai là. Mais comment s'appelle exactement le village en question ? Saint-Illide ou Saint Illède ? (lettre du 13 juillet 1964)
Je t'adresse cette lettre un peu au hasard en me fiant à l'exiguïté de Saint-Illide (que j'ai toujours envie d'écrire Saint -Idylle) et au flair des postiers. J'espère qu'il n'y a qu'une colonie de vacances dans ce village sinon ces pages risquent fort de s'égarer. Il est vrai qu'il n'y a pas deux "Anne-Pingeot-monitrice" ! (...) J'aime que tu aies abordé une tâche si différente, si contraire. Je crois que rien ne se justifie si on ne consacre pas sa vie, si on ne la donne pas. L'expérience de cette action collective, auprès d'enfants pour qui tout est si important, influera sur toi. L'équilibre de l'action et de la méditation, de l'amour et du don de soi, de la liberté et de l'ascèse est le premier secret d'une vie féconde. (lettre du 20 juillet 1964)

Rien n'arrête François Mitterrand qui parvient à concilier son emploi du temps chargé avec les jours de congé de la jeune monitrice ...
Quand je t'ai vu entre Saint-Illide et Albart, j'ai ressenti mon amour pour toi de façon fulgurante. Je t'aimais sans souvenir et sans espoir. (...) Je t'aime, Anne chérie, comme on naît et comme on meurt. sans recours. (...)

Il tombe peu à peu sous le charme de la région ...

Je me suis arrêté à Tulle pour dormir. La route, après Albart et jusqu'à ce que je rejoigne la nationale Aurillac-Limoges, était merveilleuse, avec ses détours, sa solitude, ses parfums. Elle traversait de profondes forêts et quand elle remontait au haut des collines découvrait le ciel incroyablement pur et royal que toi-même as dû admirer. (...) Mais penser maintenant que des jours et des jours vont s'écouler jusqu'à ce que je retrouve ce délicieux chemin de Saint-Illide m'épuise, me ronge. (31 juillet 1964)
Je puis imaginer les lieux où tu vis, entre Saint-Illide, Saint-Illide gare et Albart. Je ne m'en prive pas !

... Et projette même, par jeu, d'écrire un livre sur notre village !

J'ai entamé un petit travail qui m'amuse et dont le prolongement m'intéresse : MONOGRAPHIE (imaginaire) DE SAINT-ILLIDE, tel est le titre de cet important ouvrage qui bouleversera, c'est certain, les données sociologiques modernes ! (1er août 1964)
J'écris peu à peu la monographie de Saint-Illide que je te chargerai d'illustrer : trouve-moi là-bas, si ça existe, des photos de gens, d'animaux, d'instruments et de lieux du pays.

C'est le bel hôtel "Garcelon", à Saint-Cernin, qui abritera les nuits clandestines du couple. Ce magnifique bâtiment, typiquement auvergnat, a malheureusement été presque complètement détruit par un incendie en juillet 2020.

A la fin du mois d'août 1964, Anne Pingeot  va quitter pour toujours son poste de monitrice à l'hospice d'Albart ... un mois de séjour seulement. Chose remarquable, ces lieux vont devenir pour le couple le symbole du début de leur Amour et plus généralement du bonheur et de l'insouciance.

Tu as toujours été merveilleuse avec moi. A Saint-Illide, si proche encore, j'ai glané du bonheur plein les bras. Je t'en remercie de toute mon âme.

Sans plus jamais y retourner, François Mitterrand va alors idéaliser Saint-Illide, il y fera constamment allusion dans sa correspondance avec Anne ... et cela presque jusqu'à sa mort. Albart sera mentionné au moins dix fois et Saint-Illide une cinquantaine de fois ...

 

 


Il ne se passe pas de nuit sans que sur ma table de chevet voisinent tes photos, tes dernières lettres et maintenant l'église de Saint-Illide.

J'ai besoin de tes yeux, de ta bouche, de ta douceur d'être, de tes silences qui ressemblent à des prières ferventes au grand Saint-Illide. (27 juillet 1967)
J'ai besoin de ta présence et rien ne me distrait de toi - Saint-Illide ! (29 juillet 1967)

Dans un courrier daté du 5 janvier 1969, François Mitterrand s'amuse à faire la liste de ses monuments et lieux préférés, Saint-Illide est en bonne place ... et en bonne compagnie (c'est le moins qu'on puisse dire !) :

Monuments
1) Saint-Benoît-sur-Loire   2) Torcello  3) Saint-Illide ...
5) Cathédrale de Bourges ... 10) Le Parthénon, Topkapi ...

Lieux
1) Le Luberon 2) Le Ventoux ... 6) Salers ... 9) Le ciel moucheté de La Roquebrou

Très souvent, ses lettres sont ponctuées d'exclamations comme : Oh Saint-Illide ! Ô bonheur de Saint-Illide ! Madame de Saint-Illide !

En juillet 1970, Saint-Illide est encore mentionné dans un long poème intitulé ANNE 1 :

... Pour l'église de Saint-Illide
Pour les chemins de Nabinaud
Pour la halte de Mont-Redon
Pour la rue de Saint-Sulpice
Pardonne moi, mon Anne ...

Puis c'est au tour d'Albart, dans un autre très beau poème :

Et je suis
Tellement
comme si j'étais là, debout, au
bas d'Albart, vêtu de blanc, anxieux,
heureux, guettant la jeune fille de
toujours, jeune fille, mon tendre amour ...

En 1971 :
L'important c'est ton regard, et tes mains et mon amour de Saint-Illide rendu.

En 1973 :
Un bourdon et la combe de Saint-Illide résonne comme un poteau télégraphique.

En février 1988, lors d'un voyage à la Réunion :
... Oh ! Anne, Anne d'Albart !

Jusqu'à cette dernière mention dans une lettre du 20 septembre 1995 (quatre mois avant sa mort) :
Moi je t'adore comme au bas de la côte d'Albart ...

Le 11 janvier 1996, lors des obsèques de François Mitterrand, Danielle, l’épouse légitime serre Mazarine dans ses bras, les deux familles partagent une même douleur.
Anne qui sort de l’ombre pour la première fois reste en retrait … les yeux rougis, le teint pâle, elle pleure sous la pluie hivernale l’épilogue d’une passion qui avait commencé dans la chaleur lumineuse d’un été auvergnat, un été passé à Albart au milieu des rires d’enfants …