Anonyme 1911

Ce poème, publié en 1911 dans le journal cantonal "l'Union Catholique", était signé R. B.

Parmi les tombes ...

Un simple et morne enclos voilé de sapins sombres
Que la brise d'hiver s'amuse à cravacher,
De frêles monuments, des croix et des décombres :
Un peu de sol d'Auvergne, auprès d'un vieux clocher :
C'est notre cimetière où le passé repose ;

Où viennent chaque jour s'user bien des genoux,
Où dès que le matin se drape dans le rose
L'oiseau conte la vie aux tombes de chez nous.

Quand sonne à la Toussaint le glas lent de la feuille;
Il n'est pas de recoin qui n'ait encor ses fleurs ;
Il n'est pas de gazon bombé, qui ne recueille
De vivants souvenirs, des amours, ou des pleurs.
Et de longs voiles noirs vont balayant la terre,
Et de tremblantes mains s'égratignant aux houx,
Sarclent, de ci, de là, quelque menu parterre,
Ou redressent les croix des tombes de chez nous.

Comme le champ des morts que veille le village
Est endeuillé l'hiver ! la neige a nivelé
Tous ces suprêmes lits sans en connaître l'âge,
Et l'âpre vent des monts rugit échevelé.
Des hordes de corbeaux, grimaçantes et lourdes
Sur la crète des murs se donnent rendez-vous ;
Et leurs croassements, frappent les dalles sourdes
Qui ferment à jamais les tombes de chez nous.

Mais, voici que perçant la brume opaque et grise,
Un rayon généreux de soleil printanier
Pique sa flèche d'or au toit bleu de l'église,
Et fait vibrer la sève au coeur du marronnier,
Dès lors, dans le jardin du repos tout s'éveille ;
Les mousses et les fleurs forment un tapis roux,
Et bouvreuils et pinsons, vont nicher, ô merveille !
Dans la forêt de croix, des tombes de chez nous.

L'odorant chèvrefeuille et la fraîche églantine
Se joignant sur le sol que l'on vient de fermer
Recouvrent de leurs fleurs la mort, cette voisine
Lugubre de la vie, et qui la fait germer.
Ainsi, vieillards, enfants, proches les uns des autres
Ont le même logis : ils ne sont point jaloux ;
A côté de leur place, ils ont gardé les nôtres,
Parmi les foins follets des tombes de chez nous.

Face aux monts qui jadis éparpillaient leur lave
Et dont les fiers sommets tranchent sur l'horizon,
Près du basalte noir que la tempête lave,
C'est là qu'un jour j'irai dormir sous le gazon :
Dormir en mon village où j'aurais voulu vivre
Et près du vieux clocher, me paraîtra bien doux ;
Que darde le soleil, ou que glace le givre,
Alors j'aurai l'abri des tombes de chez nous !