Le pèlerinage d'Enchanet

A Enchanet, hameau de la commune de Pleaux, un soir de l'automne 1726, un mendiant d'aspect vénérable se présenta à la porte de la famille Vaury, demandant la " retirade " pour la nuit. Suivant la tradition il est reçu en ami, partage le frugal repas familial et participe finalement à la prière du soir faite en commun. C'est après cet exercice, au moment d'être conduit au lieu propice au repos, que le mendiant demande à faire aux assistants une communication :
" Braves gens, leur dit-il, votre foi et votre charité méritent une récompense ; Je viens vous l'annoncer. Dans une anfractuosité du grand rocher du bois de las tissoniéres, il y a une statue de la Sainte Vierge. Vous l'invoquerez sous le titre de Notre Dame de Guérison; Elle sera votre gloire et votre consolation. Demain nous irons la trouver ensemble."
On devine l'émoi de la maisonnée, qui se communique aux voisins. Le lendemain, de très bonne heure, tout le hameau, suivant le guide se rendit au lieu indiqué où effectivement on trouva dans une niche tapissée de mousse fraîche une statue de la Vierge, taillée simplement dans un bois grossier, naïvement peinte et pauvrement parée. On tombe à genoux et on prie. Enfin on remonte au bourg laissant là seul le mendiant qui, disait-il, voulait prier encore ….et qu'on ne revit plus.

La nouvelle de la pieuse découverte se répandit rapidement alentour et bientôt les visiteurs affluèrent, eux aussi priant et chantant les louanges de Marie, avec d'autant plus de foi que le bruit courut bientôt de plusieurs faits miraculeux survenus. Bientôt c'est le canton tout entier qui passe puis les communes voisines du Cantal ( Saint Illide n'est qu'à quelques kilomètres ) et c'est un perpétuel va-et- vient devant le rocher et la statue.
L'autorité religieuse devait naturellement se préoccuper du fait. Le curé de la paroisse de Pleaux, messire Rotquier, en référa à son supérieur hiérarchique l'évêque de Clermont dont l'illustre Massillon occupait alors le siége.(1)

Il fit faire une enquête sérieuse et, devant le caractère de foi, de simplicité, de pureté d'intention visiblement manifeste en cette affaire, il décida une procession générale pour transporter la statue miraculeuse au centre de la paroisse, à Pleaux.
Cette décision ne pouvait que contrister les pieux habitants d'Enchanet, à qui le mendiant avait annoncé la garde de ce trésor comme récompense et faveur pour leur hameau. Mais leur foi leur commanda l'obéissance. Au jour fixé, une foule immense venue de tous les coins du canton et des communes proches, se trouva réunie pour accompagner la statue. Le temps était splendide, tous les cœurs étaient à la joie. Tout alla bien lors du déplacement du rocher jusqu'au hameau mais là, tout à coup, éclata un orage violent, accompagné d'éclairs et de ténèbres qui arrêta net la manifestation. Cet état insolite de l'atmosphère se prolongea si bien que le Président de la procession, le vénérable pasteur de Pleaux, un homme de grande foi, voyant avec raison dans ce changement subit et prolongé un signe d'En-haut interdisant la translation, s'écria publiquement : " Mes enfants d'Enchanet, le ciel parle pour vous. Vous garderez l'image de votre mère. Je la confie à la maison Pomeyrol " C'était la maison natale de trois prêtres de ce nom.

Enchanet , fier de son trésor, voulut aussitôt lui donner un abri convenable; Grâce au concours empressé de tous, grâce à des subsides recueillis sur place et aux alentours, on bâtit en 1727 une petite église de fortune, agrandie plus tard d'un campanile où chantèrent deux cloches; Elle fut désormais la gardienne de la statue miraculeuse et le siége de la dévotion à Notre Dame de Guérison. La statue ne sortira de son logis habituel qu'une fois par an, le huit septembre, pour aller en solennel pèlerinage vers le rocher auprès duquel elle fut trouvée.
Pendant la Révolution elle fut mise en lieu sûr pour échapper à toute profanation.
En 1950, la petite église présentant des signes inquiétants, on décida sa reconstruction totale, à l'exception du campanile jugé en bon état. Une souscription fut lancée et grâce à la générosité des donateurs, le nouvel édifice fut rapidement construit.
Nous n'oublierons pas la petite chapelle du rocher qui retrouve son heure d'affluence chaque année le 8 septembre.

Pendant les années de la dernière guerre, les habitants de Saint Illide se sont rendus régulièrement à Enchanet chaque mois de septembre; ce pèlerinage représentait, aller et retour une longue marche ( par la route la distance est de 13 kilomètres mais les raccourcis permettaient de réduire sensiblement cette distance ) ; effectuée en bande d'amis la journée laissait à tous un bien agréable souvenir en ces temps difficiles; après la messe devant la chapelle du rocher , on se restaurait sur la grande esplanade gazonnée qui s'étend devant, protégés du soleil par des chênes centenaires.
Aujourd'hui, si à Saint Illide on évoque Enchanet, certes pour les anciens on vous parlera du pèlerinage , pour les autres c'est au barrage que l'on pensera.
Ce barrage construit entre 1946 et 1950 est une voûte en béton derrière laquelle s'étend une retenue de 17 kilomètres et de 93 millions de m3.
En été, la retenue est très fréquentée par les baigneurs, les pêcheurs et les amateurs de promenades en barque ou en canoë. Elle est alimentée par les eaux de la Bertrande, l'Etze et la Maronne, trois rivières chères aux miraillers, et comporte plusieurs plages aménagées pour les loisirs nautiques dont, de l'aval vers l'amont, celle d'Arnac, de Longaïrou et du Pont du Rouffet( la plus proche de Saint Illide).

(1) : Jean Baptiste Massillon, de l'ordre des Oratoriens, a été un prédicateur célèbre à la cours de Louis XIV, connu, en particulier, pour ses oraisons funèbres lors du décès du Prince de Condé, du Dauphin puis du Roi en 1715; nommé évêque de Clermont en 717 , il y décéda en 1749.